Une récente exposition à la Cité du Patrimoine et de l’Architecture de Chaillot, plusieurs articles convaincants et un livre de la journaliste Sophie Chapelle*, ont donné le ton : la ville "fantôme" serait à la pointe de l’agriculture urbaine et l’ancienne "rust-belt" serait en passe de se transformer en "green belt" verdoyante.
Cette entrée urbaine figurait parmi les raisons qui nous ont transportées ici et nous avons consciencieusement parcouru l’ensemble urbain dédensifié que constitue l’agglomération de Detroit à la recherche des jardins et des plants. Cette série de parcours et plusieurs rencontres ont tempéré cette légende urbaine. Si Detroit verdit ce n’est pas toujours de la façon qu’on le dit et l’alimentation humaine n’est que rarement la priorité de ces nouveaux agriculteurs.
Des légumes en pots dans le Downtown de Detroit donnent le ton : un grillage, des fûts métalliques et des plants de tomates solitaires entre un parking vide et un immeuble muré. Que nous ayons aperçu une installation similaire dans le Downtown de Houston ou les rues de Harlem ne doit rien au hasard : l’agriculture urbaine est un thème nouveau, un outil de développement urbain puissant que plus aucune municipalité occidentale ne peut ignorer.
Le renouveau de Detroit sera donc vert. L’industrie automobile s’en est allée et la croissance verte promise par les futurologues les plus optimistes est attendue ici de pied ferme.
En naviguant dans les quartiers périphériques, une réalité s’impose pourtant. A Detroit, la friche supplante le jardin. Dans les quartiers abandonnés par leurs habitants, les jachères urbaines parfois très importantes qui apparaissent entre les lots sont le plus souvent recouvertes d’une banale prairie que de jardins potagers. Le droit de propriété conserve une dimension cardinale aux Etats-Unis et un habitant de Detroit peut avoir autour de sa maison des hectares de jachères, il n’aura le droit de cultiver que sur sa propre parcelle. Dans les quartiers ouvriers de Detroit les maisons étant souvent bâtis sur de petits lots la tâche est difficile. Dans le quartier de Saint Cyril, les rues sont barrées par des blocs de béton, la terre affleure entre les chaussées défoncées, mais les jardins attendus ne sont pas au rendez-vous.
Quand un jardin ou une petite exploitation parvient tout de même à émerger, les acteurs sont locaux et l’initiative tient plus à une somme de bonnes volontés qu’à un quelconque schéma d’ensemble.
Des recherches internet et une visite à l’excellent Eastern Market (blog à suivre) nous ont permis de repérer plusieurs associations et plusieurs acteurs impliqués dans le mouvement en cours. La visite de différents lieux, de quoi appréhender de façon nuancée une réalité.
L’association "The Greening of Detroit", qui a entrepris de réaménager avec les riverains, le parc Romanowski laissé à l’abandon par la ville (rebaptisé le Romanowski Farm Park), évoque les rapports difficiles avec la municipalité. Sur cet espace libre une initiative privée a permis d’aménager une aire de jeu, un verger et un jardin pédagogique. Plusieurs adolescents travaillaient la terre le jour de notre passage. Le quartier est modeste, majoritairement noir, et plusieurs maisons incendiées font face au parc. Malgré les demandes de l’association, il est interdit de monter ici des structures pérennes : pas de cabane à outils, pas de serre ni même de tuteurs. L’espace abandonné doit pouvoir être libéré rapidement.
Le jardin associatif "Birdtown Community Garden" est relativement petit (50 sur 100 m env). Avec son poulailler et sa petite boutique il occupe péniblement deux lots le long de la Cass Avenue. de la Les locaux de la défunte Cass Corridor Food Cop ont beau être tout proche, l’initiative reste modeste.
Plusieurs autres lieux tiennent ainsi d’avantage du témoignage que de véritables sites de production. Gérés par des associations locales ou des églises de quartiers, ils servent de prétexte pour fédérer les énergies locales : éducation, identité et fierté prennent le pas sur l’alimentation proprement dite et le rapport au développement de la ville.
Des jardins privés se développent enfin sur certaines propriétés. Ses situations plutôt rares sont à mettre en relation avec l’histoire du peuplement de Detroit. Les familles noires qui ont peuplée la ville depuis le boom automobile sont ainsi souvent venues du sud des Etats-Unis. Elles ont apportées avec elles des traditions rurales et un savoir faire agricole dans un Nord américain plus industriel. Les jardins familiaux de Detroit correspondaient ainsi à une réalité depuis les années 30. Sur Meldrum Street, George, un vieux monsieur nous offre des piments doux. Il vient d’Alabama et a traversé la France avec l’armée américaine (sans doute durant les années 60 compte tenu de son âge).
Son jardin privé serait ainsi presque traditionnel.
Dépopulation de la ville, changement des modes de vies ; pour certains, et malgré la littérature urbaine largement diffusée, les jardins de Detroit seraient ainsi … en régression.
Du côté de la Capucin Soup Kitchen, association que nous avons visité plusieurs fois (et qui nous a même invité à prendre la pelle le temps d’une matinée bénévole) les propos seront plus directs.
A suivre…
* Références :
"Motor City, ville fantôme ou ville agricole de demain ?" par Sophie Chapelle
Revue Urbanisme N°376 / Janvier | Février | 2011
"Les Américains cultivent leur jardin" par Sophie Chapelle
Politis, février 2011
Plus d'images ici :
55 Les jardins de Detroit |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire