Le slogan "Keep Portland Weird" ornait au printemps dernier les murs de notre cher métro parisien. La Gaité lyrique avait eu la bonne idée de lancer une semaine spéciale sur cette ville plutôt petite (1 million d'habitants dans l'agglo) et mal connue côté français : musique indépendante et écologie pour évoquer une autre amérique.
Ici, cette information paraît incroyable. Une jeune vendeuse de Hawthorne boulevard qui nous demandait pourquoi nous passions une semaine à Portland plutôt qu'à LA ou San Francisco et à qui nous expliquions que depuis plusieurs décennies la ville apparaît de plus en plus souvent sur les cartes etats-uniennes comme la capitale verte américaine, nous répondit simplement : "Oh, for that."
Ici tout tient en effet à une façon d'être, nonchalante et vertueuse, consciente et locale, indépendante et responsable. Une somme d'attitudes naturelles, d'actions silencieuses qui redéfinissent peut-être la notion de cool.
Pourquoi et comment Portland est-elle possible, voici notre tentative d'explication.
Pourquoi Portland est-elle verte ?
Ici la question lance le débat. Du "it has always been like that you know", au "it's all about marketing", toute sorte de réponses nous sont fournie.
Nous nous en tiendrons à celle-ci.
Tom McCal a connu deux carrières : journaliste il s'est engagé très tôt autour de la protection de l'environnement. En 1962, il produit et présente un documentaire sur la pollution de la rivière Willamette : Pollution in Paradise. Candidat au poste de gouverneur de l'Etat il est élu en 1966 et réélu en 1970. En deux mandats, cet élu républicain tendance libérale (ce parti a définitivement bien changé), dote l'état de l'Oregon de lois très en avance sur leur temps : une "bottle bill" pour rendre obligatoire la consigne des bouteilles, le nettoyage de la très polluée Willamette River (on s'y baigne aujourd'hui) et une politique de limite de la croissance urbaine.
Cette urban growth boundary qui a permis à Portland de ne pas s'étaler sur la campagne environnante, de conserver un centre actif et de profiter d'espaces naturels très proches est le fondement du caractère vert de la ville. Une gouvernance unique de l'aggloméartion a empêché l'explosion urbaine des villes satellites.
Pour Tom McCal, la Californie toute proche tenait ducontre-exemple. S'adressant à ses voisins nombreux et envahissants il résumait sa position en ces termes :
"Come visit us again and again. This is a state of excitement. But for heaven's sake, don't come here to live."
Pourquoi Portland est-elle indépendante ?
A Portland, la logique de chaîne ne semble pas avoir d'effet. Les grands noms de la restauration rapide ou de la culture bas de gamme sont même absents du centre-ville.
La ville se résumerait selon certains par 4 B majuscule.
B for Bicycle : la ville serait la capitale américiane du vélo, les pistes cyclables sont innombrables et les cyclistes omniprésents. Le "fixie", vélo branché à pignon fixe, est ici le must-have.
B for Bakery : ici la nourriture est locale, saine et éthique. Le Farmer's Market est un must, le snack haut de gamme une contre-culture (matérialisé par les food carts dont nous reparlerons) et les boulangeries n'ont pas disparues.
B for Brewery : la bière se conjugue ici aussi au pluriel. Les micro-brasserie artisanales sont innombrables et servent de délicieuses Ale, Stout, Heffenweiss ou Bitter inédites. Un ami à qui nous demandions ce qu'il en était ici de la "Bud" nous répondit simplement qu'il ne connaissait personne qui en boive encore. Portland est un "Biervana".
B for Books : sans loi sur du livre et de façon encore inexplicable un réseau de librairies indépendantes a survécu à la normalisation marchande. Le Powell's Book Store occupe un bloc entier, des auteurs locaux sont mis en avant et une foule nombreuse et bigarrée prend d'assaut les étagères sept jours par semaine.
Pourquoi Portland est-elle cool ?
Il y a bien sûr la musique. La gaité Lyrique a ainsi produit un album concept pour faire connaître cette scène locale.
Mais il y a également les attitudes. Une fausse simplicité à recycler les mouvements hippies, punks, grundges ou indé dans une façon d'être très 2010. Le mouvement des hipsters a trouvé sa capitale.
Des avenues entières rassemblent cette population élancée, ses chemises à carreaux et ses jeans slims ,qui déplie volontiers son dernier mac sur la terrasse d'une micro-brasserie ou d'un café éthique.
En lettres géantes, un mur du quartier de Pearl District qui porte le slogan "Keep Portland Weird", semble exprimer la motivation commune.
Un créateur de T-shirts à qui nous demandions pourquoi ce mantra local ne se portait pas façon textile nous répondit simplement que la ville d'Austin au Texas (voir ici) détenait le copyright du slogan.
La marchandisation ne se dissout pas complètement dans la nonchalance.
PS :
Un ami à qui nous exprimions notre sentiment confus de ne plus être sur la côte ouest des Etats-Unis mais dans une ville allemande de la forêt noire, à force de croiser des cyclistes piercés et tatoués à la terrasse de brasseries, nous fit cependant remarquer : "Portland is not only green you know, it's also white..."
Notre regard circulaire ne fit que confirmer. Pas ou peu de diversité à Portland ou dans l'Oregon. Les souches européennes se reproduisent entre-elles. Les habitants noirs de la ville sont repoussés plus loin par les effets de la gentrification. Mais une gentrification cool.
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