Le réseau autoroutier de Los Angeles constitue une des quatre écologies de Reyner Banham. Quand il écrit son livre, celui-ci est déjà largement constitué et place Los Angeles à la pointe de la civilisation automobile.
Véritablement fasciné, presque conquis, Banham décrit d'abord cette infrastructure sans aucune mesure :
" Les rampes courbes à large rayon de giration qui marquent l'intersection du Santa Monica et du San Diego Freeway - le lieu où il m'apparut immédiatement que le système des freeways de Los Angeles était l'une des grandes réalisations de l'humanité - constituent sans doute l'un des premiers monuments de ce système."
Il replace ensuite l'âge automobile dans l'histoire (pas si courte que ça) de LA, considérant d'une part que la maille d'autoroute s'était souvent superposée à celle des trains et en imaginant d'autre part que de nouveaux systèmes de transport viendraient bientôt la compléter (il imaginait des avions).
Jean Rolin, non conducteur, a une approche différente.
Dans un article du Monde accompagnant la sortie de son roman sur Los Angeles (Le Monde Magazine du 30 juillet 2011) il décrit l'intercahnge situé au croisement des autoroutes I-105 et I-110 Interchange (Judge Harry Pregerson Interchange).
Cet échangeur, situé dans le quartier plus défavorisé d'Athens, accueille également deux stations de métro et un arrêt de bus rapide. Epoustouflant, cet ensemble a été décrit par le magazine Metropolis comme "the largest public sculpture in the world".
Extrait :
"On aimerait pouvoir dire que ces deux croisements se recouvrent, ou du moins qu’ils sont tout proches l’un de l’autre : en réalité, et à vue de nez, il doit bien s’écouler de cinq à six kilomètres – c’est-à-dire en effet assez peu de chose, à l’échelle de Los Angeles – entre cette intersection de Normandie et de Florence où prirent naissance les émeutes de 1992, et le point où se croisent à angle droit la trajectoire nord-sud de la Harbor Freeway (la 110) et celle, est-ouest, de la Glenn Anderson (la 105). Ce carrefour donne lieu à l’un des échangeurs autoroutiers les plus ramifiés et les plus spectaculaires de Los Angeles, au centre duquel la station de métro Harbor Freeway est établie sur trois niveaux : le plus bas coïncide avec celui de la 110, qui sur cette partie de son cours est en tranchée, le plus haut avec celui de la 105, montée quant à elle sur pilotis. Le niveau intermédiaire est celui de la ville, et plus précisément de cette partie du quartier d’Athens qui s’étend autour de l’intersection d’Imperial Highway et de Figueroa Street.
[...]
Quant à la station Harbor Freeway – la deuxième sur la verte, dans ce sens –, c’est le genre d’endroit dont il serait plus raisonnable d’admettre d’entrée de jeu qu’ils découragent toute description. Elle fait partie des quelques rares stations de métro,
dans le monde, que l’on pourrait inclure dans une liste des dix monuments à visiter dans la ville où elles se situent. Sa position, au milieu de la freeway 105, fait que c’est tout d’abord le bruit émanant de la circulation, ou plutôt le vacarme, que l’on remarque, vacarme d’une telle ampleur, et d’une telle régularité, qu’au bout de quelque temps il engendre une espèce de stupeur assez semblable à celle que doit éprouver une souris sous le regard insistant d’un serpent à sonnette. Car à la rumeur toute proche de la 105 s’ajoutent celle, un peu plus lointaine, de la 110,
qui passe juste en dessous de la station et perpendiculairement à ses voies, et celle des bretelles, déployées tout autour comme des tentacules, qui raccordent l’une à l’autre les deux autoroutes précitées. Incidemment, cette exposition sur le quai offre des conditions idéales pour expérimenter physiquement, douloureusement mais sans risque aucun et non sans une certaine exaltation, l’« écosystème » de ces freeways dont Reyner Banham, dans son ouvrage de référence (Los Angeles, l’architecture des quatre écologies, Ed. Parenthèses, 2008), écrit qu’elles ont « fixé la forme canonique et monumentale de Los Angeles » au même titre que « les axes de Sixte Quint pour la Rome antique ou les grands travaux du baron Haussmann pour le Paris de la Belle Epoque». De ces justes observations, Banham avait retiré la conclusion erronée, ou rendue caduque par l’existence d’une station de métro telle qu’Harbor Freeway, que « pour lire Los Angeles dans le texte » il était aussi indispensable d’apprendre à conduire que «pour les générations passées d’intellectuels anglais » de se mettre « à l’italien pour lire Dante ».
Ce vacarme de la circulation – constitutif de la vie à Los Angeles, à peu près en tous lieux à l’exception des collines et d’autres quartiers résidentiels – s’atténue progressivement lorsque, ayant rejoint le niveau du sol, et traversé le parking sur lequel nous avons croisé l’an dernier un american staffordshire aux côtes saillantes, manifestement abandonné, on s’éloigne de la station, et de l’échangeur, pour se rapprocher de l’intersection d’Imperial et de Figueroa. Dans la matinée, il faudrait être extraordinairement craintif pour éprouver dans ce quartier d’Athens, spontanément, un sentiment de danger. Les méchants, s’il y en a – et il n’est guère douteux qu’il y en ait, à commencer par celui qui a largué sur le parking de la station son american staffordshire – dorment à ces heures-là du sommeil du juste. Alors que dans un quartier uniformément afro-américain, il est fréquent, dans les mêmes circonstances et si vous êtes blanc, que l’on vous regarde d’un drôle d’air, dans un quartier mixte afro-hispanique, personne, a priori, ne fait attention à vous. Le décor, comme nous l’avons déjà noté, est le même que dans des quartiers plus huppés, à quelques détails près tels que la présence exclusive de commerces ou de restaurants rapides bas de gamme. Mais enfin des stations service Chevron, des MacDo ou des Jack in the Box, on n’en trouve ni plus ni moins à l’intersection d’Imperial et de Figueroa que partout ailleurs à Los Angeles. C’est à peine si les motels sont un peu plus minables, et plus visible la succursale locale du Grupo Alianza Latina de Alcoholicos Anonimos. Et cependant, alors que depuis une demi-heure, tout au plus, vous prenez tranquillement des notes dans le voisinage de cette intersection, une voiture ultra-banalisée, sale – dans cette ville où l’on recense presque autant de car-wash que de salons de toilettage pour chiens –, s’arrête à votre hauteur, et deux flics extrêmement courtois vous demandent ce que vous faites là, à quoi vous songez, ajoutant que le quartier est « horrible », en raison notamment des gangs, ou des conflits entre ceux-ci, et vous engagent à rejoindre au plus vite la station."
Sur l'échangeur, la vision de Banham peut en effet séduire. Dans la structure, l'approche de Rolin nous paraît d'emblée plus pertinente.
An urban autopsy of the contemporary American city by two French architects spending several months in the US. Picking places, highways, buildings, parks, neighborhoods, docks or urban structures to build a universal urban grammar : our suburban collection. Une autopsie urbaine de la ville américaine par deux architectes français passant quelques mois aux États-Unis.
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