A quoi ressemble la ville "la plus dangereuse du monde" ?
Question bête pour personnes curieuses. Après de multiples hésitations, des recommandations alarmistes de mexicains, d'américains ou d'expatriés amis nous décidons de sentir l'ambiance locale et de poser la question aux personnes que nous rencontrons.
"As long as you stay on the main road, you should be fine" nous dit un vieil homme.
Passage par le pont de Santa-Fé à pied et plongée pour quelques heures dans une ville et un pays à la veille des élections présidentielles.
L'expérience se révèle étrange. Le centre est décrépit et la torpeur générale d'une ville écrasée par la chaleur se mélange à l'attente pré-électorale. "Nous verrons bien ce qui va se passer demain." nous dit-on ici et là.
Beaucoup de commerces et beaucoup d'activités (nous sommes samedi), la rue centrale est pleine, la place de la cathédrale aussi. Derrière, plus loin, tout est incertain. La réalité que nous lisons ici est sans doute superficielle. Sous des arcades des cireurs de chaussures et quelques échoppes vendant des cartes postales des années 70.
Difficile de décrire les gens que nous voyons. Pour connaître un peu le Chili, la Bolivie et l'Argentine, nous sommes plongés dans une foule sud-américaine colorée et populaire comme nous en avons déjà pratiquées.
Le niveau de vie est bas, les commerces ne vendent que des objets de peu de valeur marchande. Les quelques (présumés) toxicomanes que nous croisons ne prennent pas la peine de mendier.
Plus facile sans doute de parler des gens que nous ne voyons pas.
Pas un touriste et pas d'étrangers : tout le monde ici est latino et notre passage suscite la curiosité.
Pas de forces armées (police ou autre), pas de milice comme on nous l'avait raconté.
Pas de "Narcos" sur-tatoués, mais ces clichés correspondent-ils seulement à quelque chose ?
Les quelques heures ne suffiront pas à cerner Juarez, ce n'est d'ailleurs pas notre sujet.
Nous avons simplement pu constater la brutalité du contraste posé par la frontière, le niveau des inégalités et la disjonction totale entre une réalité posée par les chiffres et une réalité vécue.
En quittant la ville, un monument étrange a été aménagé qui tourne le dos à la frontière.
Une grande croix sombre se détache sur un fond rose. En lettres noires, se détache le mot "Justicia".
Si jamais ces quelques heures de parenthèse avaient pu nous donner une fausse idée de ce qui se passe ici, le monument est donc là pour rappeler quelques vérités.
Depuis les années 90, plus de 2000 cadavres de jeunes femmes, violées et torturées, ont été retrouvés dans le désert qui entoure la ville. Ce "féminicide" (terme inventé tout exprès par Amnesty International), vraisemblablement l'œuvre des hommes de main des cartels, se poursuit toujours sans qu'aucun procès n'ait été intenté.
Les mortes de Juarez ne veulent pas qu'on les oublie.
PS :
- A voir sur le sujet "La cité des mortes" web-documentaire très complet.
- Un point de vue inquiétant : Juarez comme avenir probable d'une logique capitaliste mondialisée. Un article du Guardian de juin 2011.
- Concernant le titre de "ville la plus dangeureuse du monde", on dit ici et là que la première place aurait été ravie par différentes cités, souvent situées en Amérique Centrale.
An urban autopsy of the contemporary American city by two French architects spending several months in the US. Picking places, highways, buildings, parks, neighborhoods, docks or urban structures to build a universal urban grammar : our suburban collection. Une autopsie urbaine de la ville américaine par deux architectes français passant quelques mois aux États-Unis.
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