vendredi 29 juin 2012

El Paso, le refoulement texan

Bien sûr l'origine d'El Paso est espagnole. Point de passage connu du Rio Grande depuis le XVI ième siècle, siège du gouvernement du Nouveau Mexique espagnol jusqu'en 1848 (lorsque les États-Unis s'en emparèrent à l'issue de la guerre contre le Mexique), la ville ne compte plus désormais que comme une polarité régionale voire locale.

"Mais qu'allez vous faire à El Paso ? Il n'y a rien là-bas ?"
La seule ville d'El Paso, avec ses 700.000 habitants ( la 19ième ville américaine), ne suscite pas en effet la curiosité. Longue bande urbaine étalée, aride et sans charme, elle ne semble faite que pour être traversée.
Replacée au centre d'une métropole transnationale de 2,5 millions d'habitants, avec sa "twin city" de Ciudad Juarez de l'autre côté de la frontière (à 200 mètres du Downtown d'El Paso), la ville change de dimension.

Les accords de libre échange américain (Alena) passés dans les années 90 ont en effet stimulé le tissu économique des villes frontières mexicaines.
Le système des "maquiladoras", qui existait en fait depuis les années 70, a connu une explosion spectaculaire à partir de 1994. À Ciudad Juarez, des zones économiques spéciales permirent à des entrepreneurs américains de délocaliser leur production, de bénéficier d'une main d'œuvre à bas salaire, pour réimporter sans taxe les produits finis aux États-Unis.

Un tissu industriel transnational se constitua, souvent aux détriments d'autres zones économiques américaines. Le déclin de Détroit, que nous vous racontions ici l'an dernier, trouve en partie sa source dans ce dispositif.
Croisée à El Paso, une acheteuse allemande nous expliquait comment sa compagnie avait ainsi délocalisé ici une partie de sa production de pièces electro-mécaniques.
Juarez est aujourd'hui en valeur le premier port d'entrée de marchandises aux Etats-Unis depuis le Mexique.

Mais en 2006, le phénomène d'intégration s'est brutalement interrompu.
La guerre contre les narcotrafiquants (les "Narcos") lancée par le président mexicain Calderon, et la vague de violence sans précédent qu'elle a provoquée, ont complément changé la physionomie de la ville.
La ville qui était déjà un point de passage de la drogue aux Etats-Unis, avec une présence très importante des trafiquants et un haut niveau de violence, a obtenu en quelques années le titre peu envié de "ville la plus dangereuse du monde.
Avec 229 assassinats annuels pour 100 000 habitants (soit près de 8 meurtres par jour en 2011), la vie à Ciudad Juarez s'est construite aux rythmes des exécutions sommaires et des massacres.

La réponse américaine fut sécuritaire et El Paso s'est depuis près de 6 ans largement fermée et protégée.
Les échanges économiques n'ont pas été ralentis mais des trajectoires individuelles ont été singulièrement impactés.

Aujourd'hui la ville est un symbole involontaire de ce refoulement culturel et de cette symbiose économique.
Au Texas, 27 % de la population est hispanophone. L'état compterait 1,2 millions d'immigrés clandestins (sur un total de 25 millions d'habitants).
Il suffit de quelques jours de présence ici pour comprendre que rien ne serait possible ici sans cette population. Emplois de service, de restauration, de vente, de sécurité, d'entretien, de jardinage, les latinos (pas uniquement mexicains) sont omniprésents.
Entre le Mexique et les États-Unis les histoires personnelles croisées sont souvent inextricables :
"yo vivo un poco aqui, un poco aya..."
"i was born there but I never go, I can't cross the border back without passport"


Quand Miami s'invente une identité unique issue d'un brassage similaire, le Texas intègre économiquement mais refoule culturellement.

El Paso, très sécurisée et protégée, 2ème ville la plus sûre des Etats-unis fait donc face à une des villes les plus dangereuses du monde. Au centre de l'agglomération, un mur métallique , un no man's land, qui n'est pas sans rappeler le Berlin d'avant 1989.

Partout dans la ville, les autorités américaines découragent les visiteurs de se rendre au Mexique. Les cartes officielles (touristiques en particulier) ont longtemps cessé de représenter la partie mexicaine. Les points de passage étant simplement représentés par des numéros.
Le business a continué mais les déplacements des cadres internationaux dans les usines mexicaines se faisaient sous la protection de garde lourdement armés.








Épilogue :
En cette veille d'élection, la situation se détendrait doucement.
La carte touristique a retrouvé sa moitié mexicaine en Mai.

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